Mis à jour le 16 août 2021
Je traite régulièrement sur ce blog de la manière de poser des bonnes questions, et des écueils que l’on rencontre dans les enquêtes en ligne et questionnaires de toute sorte. Le contexte exceptionnel actuel de l’épidémie de Coronavirus appelle à des initiatives et des outils exceptionnels. Parmi ceux-là, des outils d’auto-diagnostic visant à rassurer et informer la population sur leur état de santé, consistant en une succession de questions suivie de conseils personnalisés.
Si je soutiens à 100% les initiatives de ce genre (pour peu qu’elles s’appuient sur des informations crédibles), force est de constater qu’elles ne sont pas forcément irréprochables. La manière dont les questions sont posées, notamment, est parfois contre-productive. De plus, ces exemples mettent également en avant la possibilité – voire le devoir – pour les questionnaires d’informer leur public. Voici les exemples qui m’ont fait réagir.
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Quand une question mal définie met prématurément fin au diagnostic
Aux Etats-Unis, le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) propose Clara, un chatbot en anglais destiné à l’auto-diagnostic du COVID-19. L’échange commence très pertinemment par des rappels, et notamment qu’un chatbot ne remplace pas un professionnel de santé. Puis vient la première question : « Are you ill, or caring for someone who is ill?« .
Si l’on prend la définition du Cambridge Dictionary, « ill » signifie « ne pas se sentir bien, ou souffrir d’une maladie ». En bref, il s’agit d’un terme large dont le périmètre n’est pas extrêmement bien défini. Quand on tousse seulement, doit-on répondre « yes » ?
Le problème ici, c’est que cette question :
- Est en première position
- Met fin brutalement à la discussion si l’on répond « non » (cf. ci-contre)
En mettant une question mal définie en première position, on apporte dès le début de la confusion aux répondants. Dans une période qui décuple l’inquiétude et les passions, ce n’est certainement pas la meilleure chose à faire. Ici, il aurait été préférable de donner des critères assez objectifs : avec-vous de la fièvre ? Toussez-vous ? Il est beaucoup plus facile et objectif de répondre à ces questions que de dire si on est « malade », un terme qui n’aura pas la même définition pour tous (aussi surprenant que cela puisse paraître).
Et en mettant fin brutalement à la conversation, le chatbot fait deux erreurs. D’une part, il renforce la confusion créée par la première question, qui en plus d’être floue devient rédhibitoire. D’autre part, il manque une occasion de rassurer et de faire de la pédagogie. Si une personne utilise ce chatbot, elle a besoin d’être rassurée, de savoir quelles sont ses chances d’être porteuse, même bénigne, de savoir si elle peut être contagieuse, de savoir ce qu’elle doit faire, ce qu’elle doit surveiller, comment elle doit réagir… A toutes ces interrogations, le chatbot apporte une seule réponse : « vous n’êtes pas malade, donc vous n’êtes pas malade – CQFD ». Un peu abrupt.
Tout cela est d’autant plus dommage que la suite de la conversation est extrêmement bien faite : les questions sont précises et bien posées, les réponses pertinentes… C’est dommage de se dire que ce chatbot se porterait nettement mieux sans cette première question !
Quand une question binaire est trop restrictive
La mutuelle Alan propose également sur son application mobile et son site internet un outil d’auto-diagnostic, accessible à tous (pas besoin d’être assuré chez eux). Le questionnaire est simple, et les questions bien posées… Seule la question suivante est pour moi perfectible :
J’ai déjà dit et répété que les questions binaires oui/non étaient à proscrire dans quasiment tous les cas, et on a encore ici un exemple – même s’il n’est pas intuitif au premier abord. En effet, plutôt qu’une question oui/non, je préconise souvent d’utiliser une échelle (échelle de fréquence, échelle « pas du tout/plutôt pas/neutre/plutôt/tout à fait »…). Mais ce n’est pas une solution magique : ici, une échelle ne serait pas vraiment appropriée.
Ce qui ne veut pas dire pour autant que la question oui/non est la bonne solution ! Car ce serait oublier un point : il est impossible pour qui que ce soit d’affirmer avec certitude de ne pas avoir été en contact avec un malade (le confinement ayant de toute façon débuté il y a moins de deux semaines). Ainsi, personne n’est censé répondre « non » à cette question… Ce qui ne veut pas pour autant dire que l’on peut répondre « oui » !
Pour améliorer cette question, il pourrait suffire d’ajouter une option « je ne sais pas ». Mais la meilleure solution pour moi serait de proposer deux options : « oui » et « pas à ma connaissance ». Dès la question, l’idée que chacun peut potentiellement avoir été en contact avec un malade serait ainsi suggérée à chaque répondant. Ce serait d’autant plus pertinent que ce serait en accord total avec la politique très prudente d’Alan, qui informe toute personne ayant des symptômes qu’elle est potentiellement porteuse du virus, en lui rappelant toutes les bonnes pratiques et la marche à suivre en cas de besoin !
Mise à jour : Alan a modifié son outil quelques heures après la publication de cet article 🙂 (que je leur avais envoyé)
Je n’ai donc plus de réserves sur leur outil d’auto-diagnostic !
Quand la simplicité nuit à la lisibilité
Les Décodeurs du Monde ont également proposé leur propre outil, sous la forme d’un diagramme de décision. S’il est difficile de parler d’outil d’auto-diagnostic de par sa simplicité, le fonctionnement est finalement très proche des outils vus précédemment :
On ne dirait pas comme ça, mais ce diagramme est un questionnaire ! Sauf qu’à trop vouloir simplifier le diagramme, la lecture s’en est en fait complexifiée. Il y a pour moi deux raisons à cela.
La première, c’est qu’il n’y a pas un unique point d’entrée évident à ce diagramme. Les deux blocs en première ligne peuvent jouer ce rôle. Or si l’on suit les flèches, le bloc en haut à gauche est censé être le bloc d’entrée. Placer celui de droite un peu en dessous permettrait de l’indiquer sans ambiguïté.
La seconde c’est que plusieurs questions ont été fusionnées pour gagner de la place. Soyons honnêtes : à la question « avec-vous des symptômes ? », les options « non/oui/oui et mes symptômes se sont aggravés » ne sont logiques pour personne. Il aurait été plus lisible de poser cette question en deux temps : « avez-vous des symptômes ? Oui/Non », puis « comment ont évolué ces symptômes dans les derniers jours ? Ils ont diminué/Ils sont stables/Ils se sont aggravés ». On pourrait même envisager une troisième question sur le niveau de gravité de ces symptômes. Si le graphique correspondant serait certes plus long, il serait en fait beaucoup plus lisible pour tout le monde ! (et j’explique ici plus en détail pourquoi fusionner des questions est rarement une bonne idée)
Mais finalement, pour moi le principal défaut de ce graphique est dans sa conception : il prend comme point d’entrée le contact avec des malades plutôt que les symptômes. A une personne qui dira qu’elle ne sait pas si elle a été en contact avec des malades, on ne demandera pas si elle a des symptômes ! Or, comme on l’a vu dans l’exemple précédent, il est dans le cas général beaucoup plus simple d’être fixé sur les symptômes que sur le contact ou non avec des personnes contaminées…
En réponse à tous ces points, voici le diagramme que je ferais plutôt :
Conclusion : Quelles conséquences ?
Alors je vous rassure : aucune de ces questions, même mal posée, ne causera à elle seule la mort de qui que ce soit. Mais en ces temps troublés, toute information manquant de clarté peut ajouter un peu à la confusion ambiante, et donc contribuer aux réactions de panique ou au non respect des gestes barrières. A l’inverse, tout pas dans la bonne direction sera un pas contre la maladie, en guidant chacun vers plus de responsabilité et de sérénité.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai choisi de partager le diagramme que j’ai créé, alors que cet article n’était initialement que l’exercice purement théorique d’un expert en questionnaires et enquêtes en ligne. Mais si chaque geste compte, autant montrer l’exemple !
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Ils m’ont fait confiance !
Pierre nous a apporté toute son expérience du questionnaire en ligne, et nous a permis de gagner beaucoup de temps dans le cadre d’un planning serré. Nous avons particulièrement apprécié sa sensibilité sur l’expérience utilisateur !
Vincent Pilloy
Fondateur et CEO chez INOV360
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